Déclarations et discours : Commissaire aux élections fédérales
Notes d'allocution pour une comparution devant le
Comité plénier du Sénat du Canada
le 6 novembre 2018
Le discours prononcé fait foi
Merci, Monsieur le Président / Madame la Présidente.
Il me fait grand plaisir de comparaître devant vous aujourd'hui relativement au projet de loi C-76. Je suis accompagné de notre avocat général, Me Marc Chénier.
Incidence sur le Bureau du commissaire
C-76 contient plusieurs mesures que j'avais recommandées, à plusieurs reprises dans le passé, afin d'améliorer le contrôle d'application de la Loi électorale du Canada.
Parmi les mesures que je considère particulièrement intéressantes, je mentionnerai :
- le pouvoir de demander à un tribunal, dans certaines circonstances, d'émettre une ordonnance contraignant un témoin à répondre aux questions dans le cadre d'une enquête;
- l'élimination de l'exigence d'approbation préalable pour le dépôt d'accusations; et
- surtout la mise sur pied d'un régime de sanctions administratives pécuniaires permettant de sanctionner rapidement certaines infractions.
S'ils sont adoptés, ces changements transformeront en profondeur – et de manière extrêmement positive – tout le régime de mise en application de la Loi.
Nous sommes extrêmement heureux de ces modifications.
Le projet de loi contient aussi d'autres dispositions qui présentent un intérêt particulier pour mon Bureau.
Il y a d'abord notre retour proposé au sein du Bureau du directeur général des élections.
Cela facilitera grandement notre travail, notamment, en permettant le transfert plus facile d'informations entre les deux organisations. De plus, ce rapprochement encouragera et facilitera les contacts et les échanges entre les employés des deux bureaux. Ceci ne peut qu'être que positif, vu l'intérêt commun que nous avons d'assurer l'intégrité du processus électoral.
Il importe aussi de souligner que plusieurs mesures positives contenues dans le projet de loi C-23 visant à assurer l'indépendance de mon Bureau ont été maintenues dans C-76 – dont, notamment : la nomination du commissaire pour un mandat fixe, assujettie uniquement à une révocation motivée et le maintien du statut du commissaire comme administrateur général aux fins de la gestion des ressources humaines.
D'autre part, le retour de mon Bureau au sein de celui du directeur général des élections pourrait amener certains à craindre que notre indépendance soit affectée.
Je ne crois pas que de telles craintes soient justifiées.
Il convient de souligner d'abord que le projet de loi prévoit expressément que nos enquêtes soient menées de façon indépendante du directeur général des élections (art. 509.21).
De plus, nous continuerons d'avoir notre propre équipe de conseillers juridiques et notre propre service de communication.
Aussi, afin de renforcer notre indépendance et les perceptions publiques de celle-ci, nous avons récemment adopté un nouveau logo et une nouvelle marque de commerce pour promouvoir nos activités.
Tout cela devrait contribuer à renforcer auprès du public le fait que nous sommes une entité différente et indépendante d'Élections Canada.
Les tiers
Les membres du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se souviendront que j'ai comparu devant eux en avril 2017, pour discuter, entre autres, de certaines lacunes relativement à la réglementation des tiers, dont certains avaient été particulièrement actifs lors de l'élection générale de 2015.
Le projet de loi C-76 contient plusieurs dispositions visant à répondre à ces préoccupations.
Je souligne en particulier l'interdiction proposée relativement à l'utilisation de fonds provenant de l'étranger pour permettre aux tiers de financer leurs activités partisanes et électorales.
Je note aussi qu'on se propose de réglementer les sondages, la publicité, et les activités partisanes des tiers, autant en ce qui concerne la période pré-électorale que durant la période électorale elle-même.
Selon moi, ces changements contribueront à assurer une transparence accrue, à contenir la menace que peut représenter l'influence étrangère et à favoriser le maintien de règles du jeu équitables.
Améliorations possibles au projet de loi C-76
Je l'ai dit, C-76 est de notre point de vue un excellent projet de loi.
Cela ne signifie toutefois pas qu'il ne puisse être amélioré.
J'ai deux commentaires à formuler sur ce point.
D'abord, j'appuie sans réserve les propos du DGE relativement à la disposition créant une nouvelle infraction concernant l'utilisation non autorisée d'un ordinateur. Je fais référence ici au nouvel article 482.F Le libellé de la disposition proposée imposerait à la poursuite le fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable que l'accusé a agi « avec l'intention d'influencer les résultats d'une élection ».
Cela est susceptible de limiter indûment l'utilité de cette disposition.
Amasser les éléments de preuve permettant d'établir hors de tout doute raisonnable cet élément constitutif de la nouvelle infraction pourra s'avérer une tâche plutôt complexe.
Par exemple, si le but de l'accusé était de semer la confusion ou de miner la confiance de l'électorat en notre régime électoral, il pourrait s'avérer difficile d'obtenir une condamnation, même si le comportement de l'accusé aurait pu causer des dommages considérables au processus électoral.
Pour cette raison, il me semble qu'il faudrait supprimer cet élément d'intention spécifique et modifier le texte de la disposition en conséquence.
L'autre aspect de C-76 qui m'inquiète porte sur certaines modifications proposées à l'article 91, lequel interdit de faire des fausses déclarations concernant des candidats dans le but d'influencer le résultat d'une élection.
La nouvelle version de l'alinéa (1)b) me semble indûment restrictive en ce qu'elle se limite à certains types de fausses déclarations bien spécifiques (concernant par exemple la citoyenneté ou le lieu de naissance d'un candidat).
Toute une gamme de fausses déclarations qui sont visées par l'infraction actuelle prévue à l'article 91 ne le seraient plus.
Plus spécifiquement, les fausses allégations portant sur un acte ou une conduite qui viole clairement les normes acceptées de la communauté sans toutefois constituer un acte criminel, seraient dorénavant exclues de la portée de l'infraction.
Les tribunaux ont statué que de telles allégations—qui peuvent être parmi les plus sérieuses et les plus injurieuses—sont prohibées par le texte actuel de l'article 91.
Alors qu'on semble de plus en plus avoir recours à des fausses déclarations de cette nature dans certains débats électoraux, la modification proposée ici me paraît être un pas dans la mauvaise direction.
Conclusion
Le projet de loi apporte des améliorations qui nous mettront en meilleure position pour affronter certaines des nouvelles menaces qui nous guettent, comme l'ont démontré les élections et référendums qui se sont récemment déroulés dans plusieurs régimes démocratiques semblables au nôtre.
Toutefois, force nous est de constater qu'il n'y a pas, et qu'il ne peut y avoir, de recettes miracles, de solutions parfaites.
Ainsi, par exemple, il sera toujours compliqué de mener des enquêtes impliquant des entités étrangères ou des personnes agissant pour leur compte. Et même lorsqu'une telle enquête aboutirait, ce n'est pas demain la veille qu'on pourra forcer ces entités ou personnes étrangères à faire face à la justice canadienne.
Pour maximiser nos chances de succès contre les dangers qui nous guettent, il faut faire preuve d'une constante vigilance. Il nous faut aussi réaliser que plusieurs ont un rôle à jouer et que nous nous devons d'agir de manière concertée.
Je lance un appel spécial aux acteurs politiques – et je m'adresse ici tant aux partis politiques qu'à leurs leaders et leurs candidats. Ils ont un rôle indéniable à jouer ici.
Pour maintenir la santé de notre démocratie à long terme, ce qui est certainement un objectif que tous partagent, on doit être prêt à s'engager à renoncer aux avantages qu'on pourrait tirer à court terme de l'utilisation de tactiques ou stratagèmes contraires à la Loi ou non conformes aux règles de fair play.
Pour notre part, nous sommes déterminés à utiliser tous les outils à notre disposition pour faire respecter la loi et protéger l'intégrité de notre processus électoral.
Nous allons continuer de travailler étroitement avec, en particulier, Élections Canada, les agences de renseignements et de sécurité et les plates-formes de médias sociaux pour atteindre nos fins.
Depuis un certain temps déjà, nous avons commencé à nous préparer pour la prochaine élection générale. C-76 contient des dispositions qui faciliteront notre tâche.
Pour cette raison, il est important qu'il entre en vigueur dès que possible de manière à ce que nous puissions, à la première opportunité, intégrer son contenu à notre travail de préparation.
Je vous remercie de votre attention.
Il me fera plaisir de répondre à vos questions.