Déclarations et discours : Commissaire aux élections fédérales

Allocution du commissaire aux élections fédérales

sur le projet de loi C-23, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et
d'autres lois et modifiant certaines lois en conséquence


devant le
Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre

le 1er avril 2014

Seul le texte prononcé fait foi

Merci, Monsieur le Président.

Je tiens à remercier le Comité de m'offrir la possibilité de témoigner sur les modifications proposées par le projet de loi C-23 et leur incidence sur mon rôle en tant que commissaire aux élections fédérales.

Je suis accompagné aujourd'hui de Me Audrey Nowack, avocate-conseil, Conformité et Enquêtes.

Avant de parler du projet de loi, je crois qu'il serait utile de rappeler au Comité les raisons pour lesquelles le poste de commissaire aux élections fédérales a été créé en 1974 et placé au sein du Bureau du directeur général des élections.

À l'époque, le ministère de la Justice était d'avis qu'il ne devait pas être impliqué dans les poursuites engagées en vertu de la Loi électorale du Canada. Ces poursuites – pour citer le procureur général de 1974 – devaient relever du directeur général des élections, « dont l'indépendance ne peut être remise en question. » Quant au directeur général des élections, il craignait que sa participation aux enquêtes et aux poursuites en cas d'infractions électorales ne compromette son impartialité.

Voilà pourquoi le poste de commissaire a été créé en 1974. Le titulaire a été intégré à Élections Canada afin d'être totalement indépendant du gouvernement. Au départ, le commissaire n'était responsable que des infractions en matière de dépenses électorales, mais en 1977, il a été chargé de la mise en application de toutes les dispositions de la Loi, y compris le lancement et la conduite des poursuites.

Le poste de directeur des poursuites pénales (DPP) a été créé en 2006, et, depuis, les poursuites pour infraction électorale sont intentées par ce dernier.

Je parlerai maintenant du projet de loi à l'étude devant ce comité.

1. Changements organisationnels

Le projet de loi C-23 propose d'aller bien plus loin que ce qu'on a fait en 2006, en transférant le commissaire au Bureau du directeur des poursuites pénales.

Alors que vous étudiez cette proposition, je pense qu'il est important pour vous, les parlementaires, de comprendre les avantages du modèle actuel. À mon avis, ce modèle assure un bon et sain équilibre entre l'indépendance des enquêtes et une application cohérente et éclairée de la Loi électorale du Canada.

En effet, je dois insister sur le fait qu'en tant que commissaire, j'ai toujours joui d'une indépendance absolue concernant la conduite des enquêtes et le choix des mesures d'exécution de la Loi, y compris la décision de renvoyer une affaire au DPP.

Je suis maintenant en poste depuis près de deux ans, et jamais le directeur général des élections, ou quiconque à Élections Canada, n'a tenté d'influencer d'une façon ou d'une autre la manière dont mes enquêteurs et moi faisons notre travail. En d'autres termes – et je pense que c'est important de le dire –, je décide seul des enquêtes à mener, des méthodes à utiliser et des mesures à prendre, comme, par exemple, du renvoi d'un dossier au DPP.

Par ailleurs, comme je fais partie d'Élections Canada, je vois directement comment la Loi est administrée et je comprends les principaux défis touchant à la conformité, ce qui oriente mes interventions et réduit le risque que des interprétations divergentes des règles sèment la confusion chez les entités réglementées, comme les partis politiques et les candidats.

La nécessité d'une telle cohérence explique pourquoi, à ma connaissance, l'administration et l'application des règles sont confiées au même organisme dans la vaste majorité des régimes de réglementation. L'Agence du revenu du Canada, le Bureau de la concurrence, Pêches et Océans Canada et l'Agence des services frontaliers du Canada sont des exemples.

Le CRTC en est un autre. En vertu du projet de loi C-23, il serait chargé d'administrer et de faire appliquer les règles sur les « services d'appels aux électeurs. »

À mon avis, si l'on sépare le commissaire d'Élections Canada, il risque à long terme d'y avoir un décalage entre l'administration des règles et leur application. Pour éviter cette situation, il est primordial de préserver et d'entretenir une relation continue entre les deux entités. Il n'est pas seulement question d'échange d'information dans le cadre des enquêtes – ce qui, en fait, n'est pas expressément prévu dans le projet de loi C-23 et doit faire l'objet de modifications afin que les enquêtes soient menées efficacement et en temps opportun.

Cela signifie également que les deux entités devront établir des mécanismes structurés pour poursuivre leur collaboration ouverte. Par exemple, il faudra peut-être établir un comité mixte sur la conformité à la réglementation pour étudier les tendances ou les nouveaux enjeux qui découlent de l'évolution des pratiques des partis politiques et des candidats. De plus, comme le projet de loi C-23 permettra aux partis d'exiger des avis écrits du DGE sur l'application de la Loi et que le commissaire sera lié par ces avis, il faudra établir des mécanismes de consultation entre le commissaire et le DGE.

En plaçant le commissaire au sein du Bureau du DPP, le projet de loi C-23 réunirait deux fonctions qui sont normalement séparées, et avec raison. Ce changement de structure soulève des questions importantes par rapport à la séparation des fonctions d'enquête et de poursuite – une séparation qui a été jugée suffisamment importante en 2006 pour qu'on retire au commissaire le pouvoir d'intenter des poursuites. Il soulève également des préoccupations en ce qui concerne l'indépendance apparente du commissaire par rapport au gouvernement de l'heure.

Le projet de loi C-23 indique que les enquêtes du commissaire doivent être menées de façon indépendante du DPP. J'ai toutes les raisons de croire que ni le DPP ni le procureur général n'interviendraient dans mes enquêtes. Toutefois, le fait que le Bureau du commissaire relèvera du DPP et que ce dernier devra rendre compte des activités du commissaire au procureur général pose certains problèmes, à tout le moins sur le plan de la perception.

Pour cette raison, le transfert proposé ne constitue pas, selon moi, un pas dans la bonne direction.

2. Pouvoirs d'enquête

J'aimerais maintenant parler des pouvoirs d'enquête du commissaire. Lors de sa comparution, le directeur général des élections a expliqué à quel point il est important d'appliquer la législation électorale efficacement et avec diligence. Les Canadiens s'attendent à ce qu'on se penche rapidement sur les infractions graves aux règles encadrant les élections, et ce, à l'intérieur d'un cycle électoral normal de quatre ans. Ces attentes sont tout à fait raisonnables. Lorsque la légitimité d'une charge élective est en jeu, la nécessité de répondre aux allégations d'actes répréhensibles concernant les élections est, par définition, pressante.

Voilà pourquoi, comme je l'ai indiqué dans mon rapport annuel, je crois qu'il est essentiel que le commissaire ait le pouvoir de demander à un juge d'émettre une ordonnance afin de contraindre une personne à témoigner.

Selon mon expérience, il n'est pas rare que les gens indirectement concernés par une enquête, mais qui pourraient détenir des renseignements importants, refusent de coopérer. Dans un contexte politique où les allégeances sont fortes, on ne devrait pas s'en étonner. Toutefois, cette situation peut entraîner des retards considérables, et même compromettre une enquête.

Le pouvoir de contraindre une personne à témoigner dans le contexte des enquêtes sur une élection existe dans plusieurs provinces et territoires, notamment au Québec, en Ontario, au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse, au Manitoba, en Alberta et au Yukon. D'autres organismes de réglementation disposent d'un pouvoir similaire. Le directeur général des élections et moi-même avons tous deux recommandé que ce pouvoir soit accordé au commissaire et assorti des protections appropriées, telles que celles prévues dans la Loi sur la concurrence. Ces protections comprennent notamment les suivantes :

  1. une autorisation judiciaire préalable, fondée sur une preuve par affidavit démontrant que la personne détient vraisemblablement des renseignements concernant l'enquête sur une infraction à la Loi électorale du Canada;

  2. le droit d'être représenté par un avocat et d'être interrogé en sa présence;

  3. le droit de la personne contrainte à témoigner de le faire sans que les renseignements ne puissent être utilisés contre elle.

À mon avis, ces protections permettraient une approche équilibrée afin d'assurer une meilleure application de la Loi.

Je tiens à être bien clair : si cette modification n'est pas apportée, les enquêtes continueront d'être longues, voire très longues dans certains cas. Pire encore, certaines avorteront tout simplement en raison de notre incapacité d'aller au fond des choses.

Le projet de loi C-23 devrait également être modifié afin d'améliorer les dispositions proposées concernant les services d'appels aux électeurs. Premièrement, qu'il s'agisse d'un appel de vive voix ou automatisé, il devrait être obligatoire d'identifier la source de l'appel dès le début du message. Deuxièmement, et de manière encore plus importante, les fournisseurs de ces services devraient être tenus de conserver un registre des numéros de téléphone joints et de mettre ce registre à la disposition du commissaire, par l'entremise du CRTC. Sans les numéros de téléphone, je vois mal comment les dispositions proposées pourraient être vraiment utiles.

Enfin, en ce qui a trait aux pouvoirs du commissaire, je suis très préoccupé par les contraintes qu'impose le projet de loi C-23 sur ma capacité à informer le public du résultat de mes enquêtes. Il existe sans contredit d'excellentes raisons pour préserver la confidentialité des enquêtes, principalement la protection de la vie privée et l'équité, ainsi que la nécessité de protéger l'intégrité des enquêtes en cours. Pour cette raison, tout comme mes prédécesseurs, je ne commente généralement pas les enquêtes que nous menons et je ne divulgue pas de renseignements à leur sujet, à moins qu'il soit nécessaire de le faire dans le cadre d'un processus judiciaire.

Il existe toutefois des exceptions rares, mais importantes à cette règle. Lorsque des allégations sont portées publiquement, qui mettent en doute l'intégrité d'une élection, et lorsque l'enquête démontre que ces allégations n'étaient pas fondées, il est important que le commissaire puisse rassurer les Canadiens en rendant publiques ses conclusions, notamment en fournissant certains détails factuels. Mon prédécesseur a eu recours à cette pratique deux fois au cours des dernières années et il est important que mes successeurs et moi-même puissions en faire autant dans l'avenir.

3. Nouvelles infractions et amendes et sanctions plus sévères

Enfin, je voudrais souligner l'ajout d'un certain nombre d'infractions et la proposition d'augmenter le montant des amendes. Cette proposition, plus particulièrement, est une amélioration importante et souhaitable aux dispositions.

Toutefois, comme je l'ai indiqué dans mon rapport annuel, on ne devrait pas devoir s'en remettre principalement aux sanctions pénales pour assurer la conformité aux règles électorales.

Le processus pénal est, dans son fonctionnement, lent et lourd. Il ne convient pas à la grande majorité des cas de non-conformité que j'ai étudiés, qui sont de nature purement réglementaire, tels que les retards pour le dépôt de documents. Les sanctions administratives sont généralement mieux adaptées aux problèmes de conformité touchant le financement politique. Par exemple, le projet de loi C-23 propose de réduire automatiquement le remboursement des dépenses électorales en cas de dépassement du plafond fixé. J'espère que cette mesure indiquera la voie à suivre pour les futures réformes.

Conclusion

En conclusion, je tiens à préciser que j'appuie entièrement les modifications liées à l'application de la Loi suggérées par le directeur général des élections lors de sa comparution sur le projet de loi C-23.

Je note en passant que le ministre d'État à la Réforme démocratique a écrit au Comité et qu'il semble ouvert à certaines modifications concernant le délai de prescription et le critère régissant le déclenchement d'une enquête.

En terminant, j'encourage fortement les membres du Comité à examiner les autres modifications proposées par le directeur général des élections concernant la mise en application de la Loi.

M. le Président, je serai maintenant heureux de répondre à toutes les questions, pour autant qu'elles ne portent pas sur les détails d'une enquête.

Merci.



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